dimanche 10 janvier 2010

"L'ombre d'Igor"

J'ai toujours eu une grande fascination pour les ombres - ombres des choses du monde, ombre de soi projetées sur le sol, double énigmatique et déformé des corps contre qui nous ne pouvons gagner aucune course. Souvent je repense à ce conte d'Andersen intitulé "L'ombre" et l'envie me prend d'écrire une histoire où un personnage deviendrait "l'ombre de lui-même"...

Mais il existe déjà un magnifique album sur ce thème : L'ombre d'Igor, de Juliette Binet.
Cet album est étrange et fascinant à la fois. Des pages épaisses, où priment le blanc, puis le gris, un dessin très simple, aux crayons de couleurs... et pas de mots. Il s'agit en effet d'un album sans texte. Seul le titre nous donne le nom du personnage. Pour le reste, c'est au lecteur de poser des mots sur les images et de dérouler le fil narratif explicitement présent au fil des pages. Car, comme dans les albums d'Anne Brouillard par exemple, l'absence de mots ne signifie pas l'absence d'histoire. Pages après pages, c'est l'histoire d'Igor, petit garçon timide, qui nous est racontée.
Igor a une ombre. Comme tout le monde, dira-t-on. Mais une ombre si longue, si grande, qu'elle semble plus forte que lui. C'est à son ombre que ses camarades disent bonjour. C'est son ombre qui, au tennis, réussit les coups gagnants. L'ombre d'Igor prend toute la page - prend toute la place. Comment donc s'épanouir face à cette ombre qui paraît si sûre d'elle ? La nuit, Igor rêve. Il rêve que son ombre le quitte. Il rêve de partir à vol d'oiseau loin, très loin, sans cette ombre qui lui vole sa lumière. Le lendemain, à l'arrêt de bus, l'ombre semble avoir gagné la bataille invisible : on ne voit plus qu'elle, grise et immense. Mais l'ombre fait connaissance avec l'ombre d'une petite fille. Et si Igor, lui aussi, réussissait à se faire une amie de cette jeune fille ? Tous deux parviendront à vivre leur amitié indépendamment de leurs ombres...
(c) Autrement Jeunesse

Difficile de mettre des mots sur cet album sans le dénaturer. C'est une belle histoire sur la confiance en soi et l'affirmation de son identité. L'ombre peut symboliser tout à la fois les rêves et les désirs, mais aussi la peur de s'affirmer soi-même. A chacun de mettre en mots cette ombre, amie et ennemie à la fois, qui nous précède ou qui nous suit. Il n'est pas facile de s'affirmer soi-même et d'oser être soi.

J'aime beaucoup la simplicité apparente des dessins de Julia Binet. Elle arrive à jouer merveilleusement avec les blancs et les espaces vides. A chaque page, l'ombre et le vide se répondent et dans leur confrontation c'est un jeu d'équilibre qui se crée et constitue toute la dynamique de l'histoire.
Dès qu'on a fermé la dernière page de l'album on a envie de le ré-ouvrir pour recommencer la lecture. Et miracle, la deuxième lecture est différente de la troisième, puis de la quatrième, puis de la cinquième... C'est un livre qui ne cesse de s'écrire au fur et à mesure de sa découverte par le lecteur. Un livre très riche, grâce à ses silences, ses vides et sa simplicité.

L'ombre d'Igor
Juliette Binet
Autrement Jeunesse
2009

2 commentaires:

Hajnalka Cserháti, Ojni a dit…

Comme un livre idéal; il fait lire lui-méme á nouveau. :) Je suis trés courieuse áce livre... mais vous avez tas de livre excellents!!! C'est difficil, mais trés bien quand méme. Merci pour cette présentation.

Marie-France Zerolo a dit…

Je te souhaite d'écrire ce livre qui se réecrit sans cesse à chaque lecture!
Moi aussi, ça me fascine les ombres...elles mettent aussi nos lumières en valeur.
Mira