mardi 17 mars 2009

"Rétorqua-t-il"

- Hep ! l'écrivaillone ! héla la Voix dans le creux de l'oreille de la conscience qui l'abritait.
- Hé mais oh ! Qui te donne le droit de m'injurier comme ça ! répondit avec colère l'auteur.
- Mais j'ai tous les droits, voyons, puisque je suis ton Surtoi tout puissant ! répondit la Voix avec assurance.
- Ouais, ben tais-toi, abrutie ! injuria l'auteur oubliant toute sa bonne éducation.
- Bonne éducation ? Ah ah, laisse-moi rire ! s'exclama la Voix qui entendait tout - même les incises de la narratrice. S'il y a bien quelqu'un qui devrait la mettre en sourdine ici, c'est toi ! vociféra la Voix dans un furieux pléonasme.
- Mais ce n'est pas moi la bavarde, c'est toi ! explosa l'auteur.
- Que nenni ! rétorqua la Voix. Il faudrait que tu prennes des leçons de bien écrire, c'est moi qui te le dis ! Tout d'abord, première leçon : vas à l'essentiel, que diable ! Allège tes phrases ! Supprime-moi ces adverbes bedonnant qui pèse trois tonnes et qui ralentissent ton discours ! Ôte-moi ces adjectifs à la chaîne qui gâtent tes descriptions à force de sur-qualifier à outrance ! Et puis surtout, surtout... mets-moi à la poubelle ces verbes de discours qui semblent venus tout droit d'une rédaction de classe 4e ! Je ne veux plus de "rétorqua la Voix" dans tes dialogues, tu m'entends ?
- Euh oui... murmura l'auteur.
- Qu'est-ce que j'ai dit ?
- Pardon !
- Pourquoi dire en dix phrases ce que tu peux dire en une seule ? Sobriété, efficacité, économie ! Tels seront tes maîtres-mots désormais !
- D'accord, répon...
- C'est le printemps ! Profite en pour faire un grand ménage dans ton écriture !

*

La Voix est sévère et sans appel, c'est le moins qu'on puisse dire. Mais je crois qu'elle donne quand même de bons conseils. Après ce dialogue inopiné avec la Voix (car je ne choisis jamais de discuter avec la Voix : c'est toujours elle qui me tombe dessus !), je suis allée fouiller dans ma bibliothèque et j'ai ressorti un bouquin que je n'avais pas ouvert depuis longtemps : Je suis un auteur jeunesse, de Christian Grenier. Ce livre (dont je possède un exemplaire dédicacé à mon nom !) pourrait être ma bible. Au-delà de l'aspect biographique de cet essai, on y trouve de jolies formules sur le métier d'écrire - et d'écrire pour la jeunesse. Un auteur est d'abord un "moteur jeunesse", dit ainsi Christian Grenier. J'aime bien cette métaphore automobile.


Hier, donc, je relisais des passages et quelle fut ma surprise de trouver sous la plume de l'excellent Christian Grenier des résolutions quasiment identiques à celles de la Voix. A bas les verbes de paroles dans les dialogues, dit-il pages 239-241 :
"Mon souci permanent dans une fiction (c'est un choix, pas une recette !) est d'effacer ces verbes de parole pour centre l'attention du lecteur sur ce qui se passe, ce qui se dit - et non sur un jugement ou une intrusion narrative qui pirate les faits." (p. 240)

Allez, c'est le nettoyage de printemps ! A la poubelle les "rétorqua-t-il", les "argumenta-t-elle" et les "répondis-je" qui n'ont rien pigé ! Ouf, on respire !

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