Nous sommes assises devant d'énormes chocolats chauds, dans notre QG à deux pas du (jardin du) Luxembourg. Copine Juju me regarde, m'écoute, se confie. Et puis soudain, elle me demande :
- Écrire oui... Mais pourquoi pour la jeunesse ?
Voilà des années que Copine Juju me voit courir après mon désir d'écrire et aperçoit de mes tiroirs les textes que je n'ose pas même lui montrer. Et voilà qu'aujourd'hui, devant les grands tasses de chocolat brûlant, elle me demande "Mais pourquoi pour la jeunesse ?"
Comme souvent quand on me pose une question, je ne sais pas trop quoi répondre, comme si au fond j'arrivais à mieux répondre aux questions qu'on ne me pose pas. Dans ma réponse, des mots comme "imagination", "liberté" s'entrechoquent. Puis j'avale une gorgée de chocolat. Et on parle d'autre chose.
- Écrire oui... Mais pourquoi pour la jeunesse ?
Voilà des années que Copine Juju me voit courir après mon désir d'écrire et aperçoit de mes tiroirs les textes que je n'ose pas même lui montrer. Et voilà qu'aujourd'hui, devant les grands tasses de chocolat brûlant, elle me demande "Mais pourquoi pour la jeunesse ?"
Comme souvent quand on me pose une question, je ne sais pas trop quoi répondre, comme si au fond j'arrivais à mieux répondre aux questions qu'on ne me pose pas. Dans ma réponse, des mots comme "imagination", "liberté" s'entrechoquent. Puis j'avale une gorgée de chocolat. Et on parle d'autre chose.
Mais plus tard, seule devant mon ordinateur, j'entends à nouveau dans ma tête la question de Copine Juju : "Mais pourquoi pour la jeunesse ?" Et là, soudain, je crois savoir pourquoi...
Parce que dans une histoire pour enfant, tout est possible :
- parce que les éléphants peuvent voler, être roses à pois jaunes et pleurer des larmes crocodiles ;
- parce que les princesses ont le droit d'épouser des princes et d'avoir beaucoup d'enfants même si des milliards et des milliards de princesses ont eu la même destinée dans les milliards de contes qui ont été écrits depuis l'invention des hommes, des châteaux forts et des dragons ;
- parce qu'un enfant ne viendra jamais me dire "ton histoire m'ennuie parce que je l'ai déjà lue des dizaines de fois auparavant" ;
- parce qu'un enfant n'a pas lu Barthes, Genette et la Critique contre Sainte-Beuve et ne va pas juger mes écrits à l'aune de ces grands mots qui, dans leur conceptualisation outrée, ressemblent à des gros mots ;
- parce qu'écrire pour les enfants me fait moins peur qu'écrire pour des adultes et que les mots, lorsqu'ils sont libres et sans entrave, m'intimident moins une fois que je les déroule sur le papier ;
- parce qu'écrire doit être avant tout synonyme de s'amuser et que les enfants savent ne pas se prendre au sérieux lorsqu'il s'agit de lire, alors que les adultes sont persuadés que la lecture - et donc l'écriture - doit nécessairement apparaître comme une preuve d'intelligence ;
- parce que je n'aime pas me prendre au sérieux et parce que je ne veux pas qu'on me prenne au sérieux ;
- parce que j'écris avec l'âge que j'ai au fond de moi et que mon âge véritable n'a pas dépassé les 15 ans, contrairement ce que dit la date de naissance sur ma carte d'identité.
Voilà pourquoi j'écris pour la jeunesse : parce qu'au fond je n'ai pas vraiment envie de grandir (= vieillir) et qu'écrire des histoires pour enfants est la seule façon socialement acceptable de rester enfant même lorsqu'on habite un corps de grande personne.
Je tourne dans ma tête toutes ces réponses que je n'ai pas faites à Copine Juju. Et puis sur Internet, je tape "écrire pour les enfants" et je tombe sur le magnifique discours prononcé par Isaac Bashevis Singer à l'occasion de la réception de son prix Nobel de littérature en 1978 :
« Pourquoi j’écris pour les enfants »
Il y a cinq cent raisons pour lesquelles j’écris pour les enfants, mais pour économiser le temps, je ne dirai que dix parmi elles.
1 · Les enfants lisent les livres, et pas les critiques. Ils s’en foutent des critiques.
2 · Les enfants ne lisent pas pour trouver leur identité.
3 · Ils ne lisent pas pour se libérer de la culpabilité, pour calmer leur rébellion, ou pour se débarrasser de l’aliénation.
4 · Ils n’ont rien à faire de la psychologie.
5 · Ils détestent la sociologie.
6 · Ils n’essaient pas de comprendre Kafka ou Finnegans Wake.
7 · Ils croient encore en Dieu, la famille, les anges, les diables, les sorcières, les farfadets, la logique, la clarté, la ponctuation et d’autres trucs aussi obsolètes.
8 · Ils adorent des histoires passionnantes et non pas les commentaires, les guides ou les notes en bas de la page.
9 · Quand un livre est ennuyeux, ils baillent sans gêne, sans avoir peur ou honte.
10 · Ils n’attendent pas de leur écrivain chéri de sauver l’humanité. Aussi jeunes qu’ils soient, ils savent que ce n’est pas dans leur pouvoir. Seuls les adultes ont des illusions aussi enfantines.
Il y a cinq cent raisons d'écrire pour les enfants. Et d'autres auteurs (je veux dire de "vrais auteurs"), avant moi, en ont énoncées certaines : on peut les lire ici. Soudain, je me sens un petit peux moins seule.
3 commentaires:
Moi, je trouve qu'écrire pour les enfants c'est pas si facile. Il y a certaine choses dont on ne peut pas parler et quand on peut il faut trouver la formule. Donc pas si facile !!!
Ah mais je n'ai pas dit que c'était plus facile d'écrire pour la jeunesse que pour des adultes ! Plus jouissif peut-être... mais certainement pas si facile, tu as raison !
Merci de ton passage par ici !
Je me retrouve beaucoup dans ce que tu écris... C'est tellement vrai pour moi aussi!:) Pour les éditeurs, j'ai le même souci, pour le moment pas beaucoup de retours ou seulement des retours négatifs, pas toujours facile... Bonne chance pour votre projet 6 en tout cas!;)
Enregistrer un commentaire