Cet hiver, la détresse de cette femme m’a touchée. Il faisait froid dehors et dans son courant d’air je me disais que les journées devaient être longues. Pourtant, je n’ai pas osé aborder la vieille femme. Quels mots trouver face à la détresse sociale ? Quels gestes avoir face à l’injustice ? Alors, je n’ai rien fait d’autre que d’écrire un petit texte – un texte tout simple dans lequel cette femme, que personne ne voit, serait l’héroïne. Je l’ai nommée « Madame Simone » parce qu’il fallait lui donner un nom pour la faire exister.
Mais je me suis mal débattue avec ce texte. Je ne trouvais pas de fin satisfaisante, je n’arrivais pas à trouver une conclusion à la hauteur des personnages. Alors j’ai fini par tout laisser en plan et par oublier le texte sur un coin du bureau.
Mais je n’ai pas oublié Madame Simone (même si elle ne s’appelle pas ainsi). Samedi, lorsque j’ai pris le métro, la vieille dame était toujours à sa place habituelle, recroquevillée contre la fenêtre. Son visage était rouge. Malgré l’été, elle s’était emmitouflée dans un anorak, tremblant de tout son corps. Je me suis dit que la vieille dame, aujourd’hui, allait plus mal que tous les autres jours et que, l’été revenu, les services sociaux qui, les mois d’hiver, lui apportaient une soupe chaude, ne venaient plus. Je me suis sentie impuissante face à cette souffrance. Profondément impuissante.
Alors j’ai repensé à ce texte écrit cet hiver. Ce texte dont je n’ai toujours pas trouvé la fin et que je n’ai jamais osé sortir du placard. En ce moment, je n’arrive pas à trouver l’énergie pour écrire de nouvelles histoires. J’aimerais pourtant penser qu’écrire peut être utile. Voici ci-dessous un extrait de l’histoire écrite cet hiver. En le lisant, peut-être penserez-vous à la vieille dame qui passe ses journées dans ma station de métro… Et puis peut-être que si on est plusieurs à penser à elle, elle pourra aller mieux…
Sur le quai, les ombres voyageuses sont entassées les unes sur les autres.
Le père et l’enfant se faufilent vers le distributeur de boissons. Madame Simone est là, comme chaque matin, la tête calée contre la poubelle, les jambes ramenées vers la poitrine.
Mais ce matin, madame Simone ne sourit pas à l’enfant.
Ce matin, madame Simone ne voit personne.
Ce matin, madame Simone ne va pas bien.
Il a fait si froid cette nuit. Ses doigts sont engourdis. Au fond de son ventre, il y a la faim qui la ronge. Au fond de sa tête, il y a le silence qui la paralyse. Au fond de son cœur, il y a la solitude qui hurle.
Non, ce matin, madame Simone ne va pas bien du tout.
L’enfant regarde madame Simone. Mais madame Simone ne le voit pas.
L’enfant regarde les passagers du quai. Mais les passagers ne voient pas madame Simone.
L’enfant regarde son père. Mais son père n’a pas le temps de voir son fils.
Le train est à quai. La foule se bouscule. « Vite ! », dit le père en appuyant sur le cartable de son fils.
L’enfant s’engouffre dans le wagon. Puis il se retourne et colle ses mains contre la porte vitrée qui s’est refermée.
Là, sur le quai, madame Simone est restée seule.
Seule avec sa solitude glacée. Douleur invisible, assise entre la poubelle et le distributeur de boissons.
L’enfant la regarde, et quand le métro démarre, il tourne la tête pour la voir le plus longtemps possible.
Mais le wagon a quitté le quai et, de l’autre côté de la fenêtre, il n’y a maintenant plus rien d’autre que l’obscurité du tunnel.