Kermita est une jolie petite grenouille qui fait "bong ! bong !" lorsqu'elle bondit avec intrépidité sur ses pattes élastiques. Elle a été fabriquée pour une toute petite fille joliment prénommée Océane.
Kermita voudrait partir vers l'Océan. Mais l'Océan ne se révèle pas aussi accueillant qu'elle l'avait espéré...
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Kermita
La grenouille qui bondissait vers l'Océan
La grenouille qui bondissait vers l'Océan
Kermita était une jolie petite grenouille verte. Très coquette, elle portait toujours des tenues raffinées faites d’imprimés Liberty merveilleusement fleuris, qui donnaient à son teint une douceur féminine. D’un port de tête altier, elle marchait dans la vie avec fierté, les bras grand ouverts vers son avenir. Pourtant, il y avait dans ses yeux un je-ne-sais-quoi d’étrangeté qui donnait à son regard un air halluciné. Kermita était dans sa vie, dans ce monde, dans cette ville… et en même temps toujours un petit peu ailleurs.
Kermita vivait à Paris, près du lac du parc des Buttes-Chamont. Elle s’était trouvée un coin tranquille, à l’abri des touristes curieux et des enfants braillards, où elle pouvait sauter à son aise de pierres en rochers.
Peut-être me direz-vous que vous n’avez jamais vu de grenouille aux Buttes-Chaumont. C’est vrai, elles ne sont pas nombreuses. À vrai dire, Kermita était même la seule batracienne du jardin. Sa maman était une grenouille d’appartement, qui vivait recluse dans l’aquarium d’un petit garçon vivant à quelques pas de là, rue des Chaufourniers. Un jour, la maman grenouille avait eu des petits têtards, fines silhouettes noires à la queue allongée, qui annonçaient de se transformer bientôt en belles et radieuses grenouilles. Mais la mère du petit garçon, voyant toutes ces petites bêtes tournoyer dans l’aquarium et menaçant un jour de devenir une armée de rainettes et de crapelets, s’était effrayée. « Comment ! », s’était-elle exclamée avec énervement à l’adresse de son fils, « tu ne vas pas garder tous ces têtards ! Pas question d’avoir de nouvelles grenouilles à la maison ! » Devant la fureur de sa mère, le petit garçon avait dû pêcher les petites larves avec la passoire de la cuisine et les mettre dans un grand bol afin de les transporter jusqu’au parc voisin. Les larmes aux yeux, le petit garçon avait versé le contenu du récipient dans le grand lac et avait regardé, un à un, les têtards nager vers leur nouvelle liberté. C’était l’hiver et il faisait froid sur Paris cette année-là. Perdus dans le vaste étang, les têtards étaient morts peu de temps après. Seul l’un d’entre eux avait survécu : un têtard volontaire et décidé, qui, quelques semaines plus tard devint une belle et délicate grenouille – Kermita.
Seule grenouille du jardin, Kermita était considérée avec respect par tous les autres animaux. On peut même dire qu’elle était aux yeux de tous une vraie petite reine, objet de toutes les attentions. Lorsqu’ils croisaient Kermita au détour d’un nénuphar, les canards cancanaient joyeusement, les mésanges zinzinulaient avec gaieté, les hirondelles gazouillaient avec malice et les moineaux pépiaient d’un air enjoué. Kermita avait le don de rendre tout le monde heureux. C’est un don rare, inestimable, qui n’est pas donné à tout le monde.
Malgré l’absence de sa famille, Kermita avait tout pour être heureuse. Mais, c’est bien connu, lorsqu’on a tout, on en veut quand même encore plus. Chaque jour, Kermita sautait d’une pierre à l’autre, bondissant avec souplesse au-dessous de l’eau sombre du grand lac. Arrivée sur un rocher un peu plus gros que les autres, elle se laisser tomber sur le côté, en soupirant d’ennui. « J’en ai marre de Paris ! », s’écriait-elle avec lassitude. La voyant triste, les canards, les mésanges, les hirondelles et les moineaux se précipitaient autour de Kermita, à tire d’ailes ou à coup de nageoires. Et, dans tous les sens, ça cancanait, ça zinzinulait, ça gazouillait, ça pépiait.
« − Qu’as-tu, ma petite Kermita ? », chantaient les oiseaux.
« − Que se passe-t-il, jolie Kermita ? », nasillaient les canards.
Devant la foule de ses admirateurs, Kermita se relevait d’un air décidé et, tirant sur ses pattes élastiques, s’écriait avec assurance : « Y’en a marre de ce lac, ce que je veux, moi, c’est aller vivre dans l’Océan ! »
« − L’Océan ? l’Océan ! », entendait-on cancaner et zinzinuler de tous côtés, d’un air scandalisé.
« − Mais tu n’y penses pas, Kermita, c’est immense, l’Océan ! », bourdonnait une guêpe qui avait surpris la conversation.
« − Et puis, c’est loin, l’Océan ! », croassait un corbeau perché en haut d’un arbre.
« − Et puis c’est froid, l’Océan ! », jacassait une pie qui, toujours, se mêlait de ce qui ne la regardait pas.
« M’en fiche ! », coassait Kermita avec vivacité, en réponse à toutes ces paroles trop raisonnables qui entendaient faire avorter ses rêves. « Moi, je veux vivre dans l’Océan et un jour j’irai là-bas ! », affirmait Kermita, mettant un terme à la conversation.
Kermita savait qu’un rêve, à force d’être ignoré, peut vous étouffer et qu’il n’y a pas d’autre moyen pour continuer de vivre que de tout faire pour le rendre réel. Alors, un matin, Kermita décida de partir. Quitter Paris, quitter les Buttes-Chaumont, quitter les cancans des canards, les gazouillis des hirondelles et les pépiements des moineaux, et rejoindre l’Océan.
À l’annonce de cette grande nouvelle, tous les animaux du parc accoururent affolés vers Kermita.
« − Tu vas nous manquer ! », roucoula toute la famille des pigeons argentés.
« − Que va-t-on devenir sans toi ? », craqueta une cigale méridionale qui passait tous ses étés à Paris.
« − Quelle tristesse de te voir partir ! », couina une petite souris qui vivait dans un petit terrier creusé dans l’écorce d’un arbre.
« − Il n’y aura plus personne pour coasser joyeusement lors de ma promenade matinale ! », jappa un caniche qui, chaque matinée, tenait en laisse une vieille dame habitant rue Simon Bolivar.
« − Et je ne pourrai plus admirer ta jolie tenue fleurie ! », jabota une perruche qui s’était évader il y a bien longtemps de la cage dorée d’une riche Parisienne.
En écoutant tous ses amis regretter son départ, Kermita était un peu triste. Elle savait bien qu’à elle aussi l’animation du lac des Buttes-Chaumont allait lui manquer.
Mais le rêve d’Océan de Kermita était trop grand, trop beau, trop impatient. Il fallait qu’elle parte. Qu’elle parte maintenant pour rejoindre l’Océan.
Kermita ne fut pas longue à se préparer. Contrairement aux hommes, les batraciens savent voyager sans bagage. D’un geste de la patte, Kermita fit au-revoir à tout le monde. Elle ne se retourna pas quand elle franchit la grille du grand jardin. Des larmes se bousculaient au coin de ses grands yeux ronds et elle voulait que personne ne puisse deviner ces gouttes de tristesse au rebord de son regard.
Sortir de Paris ne fut pas évident. Bien au contraire. Partout, il y avait des voitures qui, à toute allure, vrombissaient de tous côtés sans crier gare. Croyant y trouver plus de sécurité, Kermita se réfugia dans les caniveaux, le long des trottoirs et, de rue en rue, elle bondit, trempant ses pattes raffinées dans la fange des ordures parisiennes. Avenue de la Grande Armée, après être passée sous l’Arc de Triomphe et avant de franchir le périphérique, Kermita fut à deux pattes d’être écrasée par un vélocipède frondeur et inconscient. Heureusement, la petite grenouille avait de bons réflexes et l’accident fut évité de justesse. Arrivée au Bois de Boulogne, Kermita laissa échapper un grand soupir. Là, parmi les arbres, les lacs et les allées de sable, elle se sentait en terrain connu et pouvait enfin souffler devant ce bout de nature retrouvé.
Mais la halte champêtre fut de courte durée. Le rêve de Kermita l’appelait. L’Océan était loin, mais il ne fallait pas cesser d’aller à sa conquête. Empruntant les petites routes de campagne, préférées aux effrayantes autoroutes polluées, Kermita bondissait sur le macadam gris. « Bong, bong ! », auriez-vous pu entendre si vous aviez marché vous aussi au bord de la route. Kermita tirait sur ses pattes, cherchant l’impulsion qui, de bond en bond, la menait jusqu’à son destin. « Bong, bong ! ». De kilomètres en kilomètres, la jeune grenouille avait trouvé son rythme et avalait les distances au bout de ses cuisses musclées.
Il se passa des jours, des semaines, des mois. Les voyages en grenouille ne sont pas aussi rapides que les voyages en TGV, bien entendu. Mais il y avait au bout des pattes de Kermita le merveilleux rêve de l’Océan et, poussée par cet espoir fou, jamais elle ne se sentit fatiguée et jamais elle n’eut l’idée de renoncer.
Alors, au bout de plusieurs mois, Kermita finit un jour par arriver à destination. À la pointe de la Bretagne, il y avait là la pointe de son rêve : l’Océan immense dans son enveloppe bleutée qui s’étendait à l’infini, à perte de vue. Kermita bondit sur le sable mouillé de la plage. Enfin, elle était devant l’Océan ! Enfin, l’Atlantique était là, devant elle, faisant danser les vagues sous l’éclat du soleil ! Kermita se frotta les yeux. Elle n’arrivait à croire qu’elle y était enfin arrivée, qu’elle était là, au seuil du monde aquatique, devant l’horizon démesuré de cette infinie masse liquide. Pendant quelques instants, Kermita ne bougea pas, fixant les flots bleus et les ressacs maritimes qui, d’un coup, venaient donner vie à son rêve impossible. La petite grenouille était si émue d’être arrivée enfin à son but que pendant quelques minutes elle ne put rien faire d’autre que de le contempler en toute incrédulité.
Puis, Kermita reprit conscience de la réalité. Car l’Océan était là, devant elle, bien réel ! Il fallait en profiter ! D’un bond, elle tira sur ses pattes arrière qu’elle enfonça sur le sable doré et elle sauta dans les vagues.
« − Bong, bong, bong ! et… plouf ! »
Kermita avait bondi une fois, deux fois, trois fois et, après un coup de pattes plus fort que les autres, elle sauta de tout son corps dans l’eau salée.
« − Ouille ! c’est glacé ! », coassa Kermita avec effroi.
Portée par une vague un peu plus grosse que les autres, elle fut rapidement ramenée vers le rivage. Un peu étourdie, elle rampa sur le sable humide. Reprenant petit à petit ses esprits, elle se redressa et trempa à nouveau une patte dans l’Océan. Elle approcha tout doucement de l’eau, entourant chaque geste de mille précautions. Mais une vague furieuse vint jaillir du fond de la mer et éclater avec violence sur la plage. Kermita fut emportée par le rouleau désordonné. Elle tourna, tourna dans l’onde déchaînée, la tête sous l’eau et peinant à respirer. Heureusement, toujours, avec un rythme régulier, le rivage rappelait les vagues de l’Océan et se laissait laper par celles-ci. Rejetée vers la plage, Kermita retrouva la terre ferme. Complètement abasourdie, elle se laissa glisser jusqu’au sable. La pauvre Kermita, ayant avalé une grosse quantité d’eau salée, toussait avec douleur, extirpant de sa poitrine les gouttes d’Océan qu’elle avait avalées malgré elle.
« − Ah, mais c’est pas bon ! Qu’est-ce qu’elle est salée, cette eau ! », cria-t-elle avec dégoût.
Tremblant de peur et de froid, la petite grenouille vint se réfugier sur un rocher. De là, elle pouvait voir en hauteur, dans un lieu à peu près abrité, l’Océan se déchaîner dans toute sa splendeur. C’était donc ça, l’Océan ? Cette masse informe et infinie qui vous crachait à la figure des vagues impertinentes et vous laissait un goût piquant dans la bouche ? Cet Océan-là ne ressemblait pas tout à fait aux rêves de Kermita. En vérité, Kermita découvrait que dans la vraie vie la réalité a rarement la saveur des rêves. La saveur de la réalité n’est certes pas forcément désagréable et déplaisante, mais elle est différente, c’est tout. Et c’est déjà beaucoup.
« − Que fais-tu là, petite grenouille ? », piaula un albatros blanc qui, volant au-dessus de la plage, aperçut la minuscule rainette accrochée à son rocher.
Kermita leva les yeux. Un bel et grand oiseau tournoyait au-dessus de sa tête. Il avait des ailes de géant et, dominant le ciel, il semblait être le roi de l’azur. Un petit peu intimidée, Kermita sourit à ce bel oiseau qui portait sur elle un regard qu’elle savait bienveillant.
« − J’ai fait un grand voyage pour voir l’Océan », murmura la grenouille. « Mais l’Océan ne ressemble pas à ce que j’avais imaginé et il me fait peur ! »
Kermita baissa la tête, un peu honteuse. Elle se sentait seule et perdue. C’est sa foi en elle-même qui l’avait abandonnée.
« Je voudrais rentrer chez moi ! », pleura Kermita. « Je ne peux pas faire des bonds dans l’Océan. C’est trop grand, trop froid, trop salé ! Je m’enfonce et perds patte, dès que j’essaie de plonger dans les vagues… », ajouta Kermita dans un coassement plaintif.
Le grand albatros s’approcha de Kermita. À côté de lui et de ses grandes ailes blanches, la petite grenouille paraissait encore plus chétive et fragile.
« − Tu sais, petite grenouille, il n’est pas si facile de changer d’univers, je le sais bien. Un jour, des pêcheurs ont voulu me faire marcher sur leur bateau, mais, avec mes ailes immenses j’ai perdu l’équilibre et je suis tombé. Les hommes d’équipage se sont moqués de moi et de ma maladresse. Mais heureusement j’ai réussi à me libérer et j’ai volé loin du bateau. Là haut, tout en haut du ciel, j’ai retrouvé mon aisance et ma liberté. C’est là que je suis bien, dans le ciel, là où je peux déployer mes ailes… »
Kermita écoutait avec attention les sages paroles de l’albatros. Il lui semblait qu’elle n’avait jamais rien entendu de plus censé.
« − Mais où est ma place, à moi ? », questionna Kermita, inquiète.
« − Tu es seule à le savoir », répondit l’albatros qui, en une fraction de seconde, poussa sur ses grandes ailes blanches et s’envola vers l’horizon.
L’albatros avait disparu. À nouveau, Kermita se retrouva seule, blottie dans un renfoncement de son rocher, asile fragile au milieu du vaste Océan.
« − Jusqu’à maintenant, je n’ai jamais eu peur de rien ! », s’exclama la petite grenouille. « Et c’est pas maintenant que ça va commencer ! », brandit-elle, retrouvant la virulence et l’assurance qu’elle avait toujours eu jusque là.
« − Ma nature à moi, c’est de sauter. Sauter à la surface de l’eau, sans jamais m’y enfoncer complètement », se répéta Kermita avec fermeté.
Appuyant sur ses pattes arrière, la petite Kermita prit de l’élan. « Bong ! Bong ! » Elle sauta largement au-dessus de son rocher. « Bong ! Bong ! Bong ! », tirant davantage sur ses pattes, elle bondit vers un autre rocher se trouvant à quelques mètres de là. « Bong ! Bong ! Bong ! Bong ! » Avec plus de force encore, elle appuyait sur ses membres inférieurs, trouvant l’énergie de s’élancer très haut et très loin.
De rocher en rocher, Kermita réussit à longer la côte bretonne. Loin de perdre de sa hardiesse, elle en gagnait au contraire à chaque nouveau bond. « Bong ! Bong ! Bong ! » Kermita sautait toujours plus haut, plus loin, plus fort.
« Bong ! Bong ! Bong ! Bong ! » Kermita, de bond en bond, se sentit quasiment voler vers le ciel. Elle était si haut dans les airs qu’elle réussissait à gratter les nuages et à goûter leur parfum si frais. Plus haut, toujours plus haut, Kermita bondissait vers les cieux.
Tout d’un coup, Bong !
Kermita fit un bond immense. Si immense qu’elle percuta un avion qui traversait le ciel.
Heureusement elle toucha l’avion au niveau d’un tout petit trou ouvert dans la carcasse de l’avion d’acier. Le trou était minuscule, mais Kermita était si petite qu’elle s’y faufila sans difficulté. Remontant la paroi de métal, elle sentit soudain qu’elle baignait dans un liquide au goût âcre de l’eau de Javel. Surprise, Kermita bougea ses pattes pour remonter à la surface. Se hissant jusqu’à l’air libre, elle eut l’étonnement de se voir arriver au milieu d’une cuvette de WC.
Kermita se trouvait dans les toilettes de l’avion ! Sur son rocher au milieu de l’Océan, elle avait bondi si fort qu’elle avait réussi à atteindre un avion de grande ligne qui traversait l’Océan Atlantique.
Kermita crachota l’eau sale dans laquelle elle avait improvisé une baignade improbable. Elle bondit jusqu’au sol et, tout doucement, se glissa au-dessous de la porte des toilettes. Elle était si petite qu’elle franchit sans problème l’obstacle et se retrouva dans les couloirs de l’avion.
« Bong ! Bong ! » Kermita essayait d’étouffer les bruits de ses bonds pour pas attirer l’attention des passagers endormis.
Mais Kermita savait que l’avion n’était pas si grand et qu’elle ne pourrait pas s’y promener à l’envi. Tout d’un coup, elle leva la tête et elle distingua dans une rangée de sièges, une toute petite fille qui dormait, recroquevillée sur elle-même. Kermita ne savait rien de cette petite fille, emmitouflée dans une chaude couverture. Elle n’arrivait pas à distinguer avec exactitude la couleur de ses cheveux – bruns, sans doute – et de ses yeux – marron ou émeraude ? Mais Kermita sut tout de suite que cette fillette deviendrait son amie. Son amie pour la vie. Son amie de liberté et de rêves. Kermita ne pouvait expliquer la raison de sa certitude. Mais elle savait qu’elle ne se trompait pas.
D’un bond, Kermita sauta sur le siège et vint se glisser délicatement entre les bras de la petite fille. Là, dans cette place tranquille et moelleuse, il y faisait tout chaud, tout bon, tout doux. Dans ces bras-là, dormaient la légèreté de l’enfance et la douceur intrahissable des rêves merveilleux.
Bercée par les bras chaleureux de l’enfant, Kermita s’endormit. Elle ne se réveilla que bien plus tard, lorsque la petite fille ouvrit les yeux à son tour.
La fillette ne sursauta pas lorsqu’elle aperçut la petite grenouille entre ses mains, lovée contre son ventre. À vrai dire, elle s’en étonna à peine, comme si la fillette attendait sa nouvelle amie depuis toujours.
« − Qui es-tu, petite grenouille ? », demanda la petite fille.
Tout le monde croit que les petits bébés ne savent pas parler, mais la vérité, c’est qu’ils parlent un langage que les adultes ne savent pas décoder et que seuls les animaux comprennent.
« − Je m’appelle Kermita ! », coassa Kermita, avec fierté.
« − D’où viens-tu, Kermita ? »
La fillette regardait la petite grenouille avec tendresse. Alors Kermita raconta à l’enfant toute son histoire. Sa naissance dans le lac des Buttes-Chaumont, son voyage le long des routes et sa rencontre effrayée avec l’immensité de l’Océan.
La petite fille écoutait avec attention.
« − Alors comme ça tu ne peux pas vivre dans l’Océan, comme tu l’as rêvé ? C’est triste… », s’exclama la petite fille, le regard affecté.
Mais d’un seul coup, les yeux de la fillette s’illuminèrent joyeusement. L’air malicieux, elle se pencha sur la petite grenouille et elle lui murmura à l’oreille :
« − Tu sais, si tu acceptes de rester avec moi pour toujours, je crois que tu connaîtras l’Océan pour toujours… »
« − Pourquoi ? Tu vas vivre près de l’Océan ? »
« − Non », répondit la fillette. « Je suis dans l’avion avec mes parents pour aller m’installer à Montréal, au Québec. À cet endroit du Canada, il y a un grand fleuve, mais il n’y a pas d’Océan. »
Kermita regarda la petite fille en roulant ses yeux d’étonnement. Elle ne comprenait pas où l’enfant voulait en venir.
« − Je vais te dire un secret », chuchota l’enfant.
La fillette s’approcha tout près de l’oreille de la petite grenouille et murmura :
« − Mon secret, c’est que je m’appelle Océane ! ».
Océane ? Ce joli prénom fut comme une caresse aux oreilles de Kermita. Avec tendresse, la petite grenouille vint se blottir tout contre Océane et, doucement, répéta le poétique nom de sa nouvelle petite amie. Océane…
Dans les bras de la fillette, Kermita ferma les yeux. « Océane », répétait-elle. Dans la chaleur de ces bras d’enfant, Kermita la grenouille comprit qu’elle avait enfin trouvé l’immensité de ses rêves d’Océan et la liberté de ses espoirs d’avenir.
Kermita s’endormit aussitôt, la tête contre le visage de la petite Océane. Là, dans ces bras-là, Kermita avait trouvé enfin sa place. Sa place rien qu’à elle.